VUES SUR SARTHE Songes et rencontres

VUES SUR SARTHE     Songes et rencontres

Le Chemin de Pierre (Saint-Germain sur Sarthe)

10984044_686635651447431_3396767213260398959_n.jpg

 

 

 

Pierre a aujourd'hui 82 ans.

Il est né et a grandi "à la ferme" comme de nombreux hommes de sa génération.

Tout au long de sa vie et de sa brillante carrière universitaire il n'a cessé de nourrir ses souvenirs et de rester attaché à ses origines paysannes.

Cette page est celle d'une journée passée dans le nord-Sarthe à tenter, en quelques photos, de refaire le chemin de mon père...

 

 IMG_8915.jpg                                   Saint Marceau.

 

 

Mon père commente :

 

" Ainsi, tu es allé sillonner les routes du nord Sarthe. Je connais bien Saint-Marceau car j'allais souvent à vélo pendant les vacances retrouver un copain qui habitait là. Il était aussi interne avec moi au Lycée Montesquieu. Tu réveilles donc des souvenirs..."

 

Je prend ensuite la direction de Saint-Germain sur Sarthe.

 

IMG_8903.jpg

 

"Ton voyage à Saint-Germain a suivi la route que j'ai faite à pied avec mes frères Jules, Michel et ma soeur Jacqueline pour aller à l'école de 1940 à 1942. (Ensuite, nous sommes tous allés en pension à Fresnay en 1943). J'avais 8 ans!!"

 

 

IMG_8867.jpg

 

J'évoque alors une rencontre faite dans le bourg du village où, pour demander mon chemin vers le lieu-dit ou a grandi mon père, une charmante petite dame se dit se souvenir de ma famille. Mon grand-père (que je n'ai pas eu la chance de connaître) fut longtemps le maire du village.

 

 

IMG_8879.jpg

 

 

"Tes photos de l'église et de la place montrent que peu de choses ont changé. Il reste même des gens qui se rappellent la famille comme cette dame qui a été mariée par Papa, ton grand-père. Je la connais sans doute puisqu'elle se souvient que nous avions élevé et apprivoisé une biche chez nous qui a,  lorsqu'elle est devenue grande, été donnée au zoo de Doué-la-Fontaine qui venait d'ouvrir "

 

 

IMG_8861.jpg

 

 

 

IMG_8887.JPG

 

 

 

IMG_8902.jpg

 

"Ensuite, tu as pris la route qui passe devant le cimetière, le pont de chemin de fer et  le lavoir au bord du ruisseau Le Rosay-Nord.

Il y avait encore des laveuses jusqu'au début des années cinquante mais surtout, on y faisait rouir le chanvre avant qu'il soit livré à Beaumont-sur-Sarthe. 

On cultivait le chanvre à cette époque et j'ai encore en mémoire l'odeur à la fois âcre et sirupeuse des hautes tiges flottant dans l'eau plusieurs jours..."

 

 

IMG_8899.jpg

 

 

"... Puis tu as continué cette route jusqu'à la ferme. Ainsi, tu peux te rendre compte du chemin que nous empruntions chaque jour. 3 kilomètres sur un parcours non goudronné avec de très hautes haies qui formaient une voûte presque protectrice. C'était caractéristique du boccage manceau.

On partait à quatre puis, à chaque ferme, d'autres se joignaient à nous et nous arrivions dans le bourg à environ une vingtaine de gars et de filles. Pour l'anecdote, c'est au lavoir, sous une pierre, que je cachais la capuche rouge que ma mère m'avait tricotée et dont j'avais honte car j'avais l'air d'une fille avec!"

 

 

IMG_8901.jpg

 

 

IMG_8889.jpg

 

 

IMG_8907.jpg

 

"La ferme a bien changé.

On reconnaît les bâtiments et la disposition de l'ensemble.

Je sais encore sur quelle écurie ou étable ouvrait chaque porte. La maison semble avoir été repeinte.

La cour a, elle aussi été aménagée, fleurie et plantée."

 

IMG_8908.jpg

 

" Hélas, finie l'atmosphère campagnarde, les odeurs fermières, le bétail, les chevaux les poules et canards, tout témoigne d'un monde disparu en moins d'un siècle..."

 

 

 

IMG_8876.jpg

 

 

 

 

Une enfance à la campagne

 

"La crêpe au sang"

 

Une Nouvelle de Pierre Yvard.

 

 

 

IMG_8910.JPG

 

 

 

 

 

Pierre se levait souvent de bonne heure pendant les grandes vacances.

Ce matin-là, il avait sa petite idée en tête. Dès qu’il entendit les premiers bruits matinaux de la ferme, il se leva, enfila à la hâte ses vêtements qu’il avait, dans un grand désordre, simplement laissés au pied du lit avant de se coucher et dévala l’escalier vers la cuisine.

 

 - Où qu’c’est qu’y va comme ça l’ Pierrot ? Tu t’es peigné avec un râtiau ? Te v’là tout ébouriffé et pis r’garde ta goule, al’est point ‘core lavée ! 

 

- Je vais jouer dans l’enclos derrière le poulailler. 

 

La Raymonde qui préparait le petit déjeuner pour tout le monde poussa un gloussement en hochant la tête, ce qui voulait dire « tu vas ‘core faire des bêtises ! », mais continua à mettre les assiettes à soupe, les rillettes, le pâté et les cruches de cidre sur la grande table. Soudain, elle courut vers la porte, sortit dans la cour et cria :

 

- Tu vas point baguenauder comme ça longtemps ! Faudra qu’tu viennes m’aider quand qu’c’est qu’on a fini d’manger ! 

- Pour quoi faire encore ? 

- Faut qu’on attrape une poule pour que j’m’en occupe. La faut pour demain, tu sais ben qu’c’est samedi et que d’main, y a  le grand-père et la grand-mère qui vont v’nir du bourg. En pus d’ça, y a ton père qui veut sa crêpe pour ses dix heures à matin.

- J’entends pas ce que tu dis !

 

Et Pierre continua de courir. Il avait bien entendu mais voulait profiter de ses premières journées de vacances. Il était tellement content d’avoir enfin quitté la pension, le dortoir, et le déroulement pénible et inévitable de chaque journée qu’il avait décidé de ne faire ce jour-là que ce qui lui plaisait. La ferme avait tant de choses à offrir ! Mais, il se demandait bien qu’est-ce que c’était que cette histoire de crêpe avec son père...

 

Il était maintenant à la barrière de l’enclos et l’ouvrit. Il prit bien soin de la refermer derrière lui. Dans cet espace, on gardait une dizaine de poules qui ne pondaient plus et qui allaient bientôt être consommées. Il allait se livrer à son jeu favori : attraper l’une d’elles et l’endormir. Dès qu’elles le virent, la panique s’installa dans l’enclos. Elles caquetèrent et battirent des ailes en courant, le cou tendu, presque ventre à terre, se heurtant au grillage. Pierre plongea plusieurs fois sans succès, mais finit par en attraper une. Elle se débattit mais se calma d’un seul coup comme si elle était résignée. Avec grand soin, il mit sa tête sous une aile et, tenant la pauvre bête bien serrée dans ses deux mains, il la tendit à bout de bras et commença à la faire tourner en décrivant de grands cercles devant lui. Après une vingtaine de secondes, il sentit le corps bien chaud se ramollir. Il posa la bête par terre et elle resta là, sans bouger, alors que les autres poules s’était rassemblées, encore apeurées mais silencieuses, dans le coin le plus éloigné de l’enclos. La poule dormait et Pierre la contemplait. Il était content de son coup et regardait l’animal d’un œil malin. Bientôt réveillée, la poule se redressa maladroitement sur ses pattes et regarda autour d’elle comme si elle s’était égarée puis courut rejoindre les autres. Voilà le jeu qui ravissait Pierre. Il se prenait alors pour « le Magicien de l’Enclos » ! 

Maintenant, il fallait rentrer.

En arrivant, tous les gars de la ferme étaient déjà attablés. Le papa et la maman étaient là aussi. La Raymonde fut la première à le voir, échevelé et l’air content de lui.

 

- Faut pas yi d’mander d’où qu’c’est qui vient. Il a ‘core été dans l’enclos.

- Quand perdras-tu l’habitude de sortir avant d’avoir fait ta toilette et d’être venu déjeuner avec nous? lui demanda sa mère.

- Je voulais m’amuser, répondit-il, sans entrer dans les détails.

 

A douze ans, il avait tout de même bien le droit d’aller jouer ! Il alla s’asseoir à côté de son père qui, lui au moins, ne lui reprocha rien. Il mangea sa soupe tiède. Il l’aimait bien comme ça. Tous les soirs, sa mère « taillait la soupe », comme elle disait, pour le lendemain matin. Elle posait la moitié du pain de quatre livres contre sa poitrine et coupait de fins morceaux qui tombaient dans le fait-tout aux carreaux rouges et blancs. Il en profitait pour chiper deux ou trois morceaux avant d’aller au lit. Ce matin, Il mangea, en plus, deux « beurrées » et attendit que son père se lève le premier et que tout le monde sorte pour enjamber le banc à son tour.

 

-  Te sauve point si vite ! Tu vas v’nir avec moi. On va attraper la poule .

 

La Raymonde, qui était un peu grosse et souvent essoufflée, ne pouvait pas courir assez vite. D’habitude, elle demandait de l’aide auprès des gars costauds qui travaillaient à la ferme, mais puisque c’était les vacances, le gars Pierre ferait bien l’affaire ! Il court comme un cabri et aime attraper les poules. Voilà ce qu’elle pensait, la Raymonde.

 

- Attends-moi là. Non, tiens, aide-moi p’utôt à débarrasser, on va y aller après. Remue-toi donc et reste pas là à me r’garder comme si tu m’avais jamais vue !

 

En traînant les pieds, Pierre réussit tout de même à porter quelques assiettes jusqu’à l’évier dans « l’autre cuisine », celle qui avait une grande cheminée. Il avait souvent épluché des pommes de terre ou écossé des petits pois en cet endroit. C’était là aussi que, dans le grand chaudron noir, l’on procédait à la cuisson des rillettes quand on tuait le cochon et à l’écrémage du lait frais tous les soirs. L’écrémeuse rouge était juste à côté de l’évier de pierre grise. Il avait souvent porté les seaux de lait écrémé jusque dans l’étable aux veaux. Là il regardait les bêtes boire et, à la fin, mettait sa main dans la bouche du plus petit des veaux qui croyait sans doute téter sa mère. Mais Pierre aussi était content et le contact de la langue rugueuse l’amusait.  Il aimait aussi « l’autre cuisine » car c’était là qu’on se rassemblait autour de la flambée pendant les vacances de Noël. Mais aujourd’hui, il rechignait car il devait rester avec la Raymonde qui le bousculait toujours un peu.

 

Dès qu’ils arrivèrent dans l’enclos, ce fut encore une fois la débâcle parmi les poules.

 

- Allez, vas-y, toi qu’aime ben jouer avec la volaille ! 

-  Laquelle tu veux ?

-  Tiens, prends la sussex là-bas.

-  La sussex ? C’est laquelle ?

- T’apprends donc ren à l’école ! Ben, c’est c’telle-là qu’est blanche avec des barres autour du cou. Allez, cours-y d’ssus, a t’attend !

 

C’était celle qu’il avait endormie. Sûrement qu’elle allait se demander ce qui lui arrivait et pourquoi on la poursuivait encore. Pierre plongea comme il en avait l’habitude et s’en saisit. Sitôt relevé, il la brandit comme un trophée et la donna à la Raymonde qui la prit par les pattes pour l’emmener à la maison. 

 

Pierre n’avait jamais vraiment assisté à la préparation de la poule au pot du dimanche, mais cette histoire de crêpe pour son père lui trottait toujours dans la tête. Aussi décida-t-il de rester avec la Raymonde pendant toute l’opération. Elle se demanda bien pourquoi il voulait rester avec elle. Cependant, elle ne dit rien et elle se mit au travail.

Elle attacha la poule par les pattes et la suspendit au crochet sur le mur à droite de la porte de l’écurie. Elle avait apporté des ciseaux, une casserole et avait mis un grand tablier blanc par-dessus son tablier de tous les jours. D’un geste vif, elle introduisit les ciseaux dans le bec de la pauvre poule et coupa le filet sous la langue. Pierre mit sa main sur ses yeux puis, ouvrant un tout petit peu les doigts, il put voir quand même le sang couler dans la casserole.

 

- T’as donc jamais ren vu ! T’es qu’une femmelette mon pov’gars !

C’est juste à ce moment-là que le Papa arriva. Il regarda le seau. 

- Tu l’as bien saignée surtout  ?

- Pour sûr que j’l’ai ben saignée, mais l’gamin il a point voulu r’garder. Faut pourtant ben qu’ça s’fasse !

Le père ne fit pas attention à la réflexion de la Raymonde et ajouta simplement :

-  Tiens, tu n’as qu’à venir avec moi alors et tu vas voir comment on fait une crêpe au sang. Prends la casserole et vient dans la cuisine.

 

Pierre aurait préféré rester avec la Raymonde pour voir comment la poule allait être plumée. Une fois seulement, en passant dans la cuisine, il avait vu sa mère passer une poule plumée au dessus de la flamme d’un petit réchaud pour griller le duvet et les racines des plumes qui restaient encore sur la peau toute pâle.

Cette fois, il allait découvrir une drôle d’idée de son père. Sur la table avaient été déjà préparés une assiette, une fourchette, un couteau, un morceau de pain et un verre de cidre. A côté, au bord de la table près de la cuisinière, le papa avait mis un gros morceau de beurre dans une soucoupe, de l’ail et du persil haché dans une autre. Il s’empara de la poêle et la posa sur le rond de la cuisinière et, quand elle fut chaude, mit le beurre à roussir :

 

- Tu vois, il faut que le beurre soit bien roux et, maintenant, je verse le sang, l’ail et le persil. J’étends bien le tout, comme quand maman fait les crêpes à la Chandeleur, tu vois, comme ça.

 

La cuisson fut très rapide et Pierre trouva que son père avait l’air d’un bon cuisinier.

Dans un crépitement vif et soutenu, la crêpe devint solide.

Une bonne odeur se dégageait de la poêle.

 

- Et voilà, c’est fait !

 

Juste à ce moment-là, la maman entra dans la cuisine :

 

- Tu as encore fait une crêpe ! Tu sais bien que c’est malsain avec tout le beurre que tu fais trop roussir. En tout cas, n’en donne pas au petit ! Tout ce beurre lui donnerait mal au ventre.

 

C’est ainsi que Pierre ne goûta jamais à la crêpe de son père. De toute façon, il n’en avait pas envie. Il trouva bizarre que seule la quantité de beurre, et non le sang frais, inquiétait sa mère. Comment peut-on avaler du sang frais, même cuit avec de l’ail et du persil ! Le papa avait tout de même de bien drôles de goûts !

Pierre se rappela des histoires qu’il avait lues dans lesquelles, après la bataille, les vainqueurs buvaient le sang de leurs victimes. 

 

Le lendemain dimanche, le grand-père et la grand-mère étaient là.

On avait mis la nappe blanche sur la table de la salle à manger que l’on n’ouvrait que le dimanche et pour les fêtes. On servit la poule au pot.

Le grand-père qui aimait être à table, fit des compliments à la Raymonde :

 

- T’as encore bien réussi ta cuisine, Raymonde, un vrai cordon bleu !

 

Pierre se demanda ce que c’était que ce « cordon bleu » et se dit qu’il en avait des choses à découvrir. Il  regarda autour de la table chacun se régaler d’une cuisse ou d’un blanc 

Il pensa au court sommeil de la poule, au « Magicien de l’Enclos » qu’il était, à la paire de ciseaux, à son père qui s’était régalé, à sa mère qui s’était inquiétée, à la Raymonde qui tuait énergiquement les poules alors qu’elle allait chaque jour leur donner du grain en les appelant « mes cocottes ».

 

 Il trouva que la poule avait un goût bien étrange ce dimanche-là.

 

 

 

 

IMG_8909.jpg

 

 

 

 

Mon père a évoqué nombre de ses souvenirs dans Mémoire Paysanne du Maine - Éditions du Petit Pavé.

 

memoire-paysanne_0.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

IMG_8881.jpg

 

 

 

 

Textes Pierre et Marc Yvard. Photos Marc Yvard



28/12/2016
0 Poster un commentaire
Ces blogs de Photo & Vidéo pourraient vous intéresser