VUES SUR SARTHE Songes et rencontres

VUES SUR SARTHE     Songes et rencontres

Daddy nostalgie

Mon père évoque ici son enfance à Saint-Germain sur Sarthe.

Premières années d'école et ... d'écriture.

Du quotidien aux travaux des champs.

 

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Octobre 1940,  J’ai six ans et je vais à l’école pour la première fois.

 

Mes deux frères, ma sœur et moi, nous partons chaque matin de la ferme du Haut-Breil, où nous sommes nés, pour nous rendre à pied par tous les temps jusqu’au bourg à trois kilomètres.

Pas de plaintes car c’est la tradition. Je suis même content de mon sort car le chemin de l’école, c’est une aventure partagée avec des camarades prêts à tirer parti de toutes les découvertes faites le long des petites routes et chemins vicinaux non goudronnés. Des petits tas de cailloux sont toujours en réserve sur la berme tous les cent mètres environ et le cantonnier est toujours à l’œuvre ici ou là pour reboucher les trous et les ornières. Nous partons et bientôt, de ferme en ferme, un groupe se forme et nous nous retrouvons une quinzaine à l’arrivée sur la place de notre petit village d’environ trois cent-cinquante habitants.

Je suis à Saint Germain de la Coudre (1)


La route est bordée d’arbres en berceau presque tout le long du chemin et c’est là que commence la vraie découverte de la campagne : marcher dans les flaques d’eau, faire bruisser les feuilles d’automne, marquer nos pas dans la neige, résister au vent froid, s’arrêter débusquer quelques écrevisses dans le ruisseau Rosay-Nord, dénicher les nids, attraper des bestioles…Les criquets et les hannetons ont ma préférence. 

Je les mets dans des boîtes d’allumettes pour, une fois rentré à la ferme, fabriquer un chariot minuscule avec des fonds de boites et des bouchons bien découpés pour les roues. Je les attelle. Ils tirent ma charrette ou mon tombereau à moi.

Je chasse les corbeaux et grimpe pour aller chercher les œufs et les emporter à l’école car il faut lutter contre ces nuées d’oiseaux noirs qui s’abattent en croassant sur les semailles d’automne.

 

Je n’ai aucune idée de la guerre.

Les activités agricoles continuent comme avant.

Chaque jour de la semaine, Je passe devant le lavoir municipal près du pont de chemin de fer. Les femmes vêtues de noir, à genoux dans leur casier de bois, bavardent, frappent, savonnent et tordent le linge. L’eau savonneuse est vite emportée par le courant. Au même endroit, je sens, à la saison, l’odeur âcre du chanvre mis à rouir puis étalé près du lavoir avant d’être transporté à Beaumont pour faire des toiles , des cordes et des ficelles. L’hiver, j’ai les mains parfois couvertes d’engelures en dépit des quelques marrons chauds que j’ai fourrés dans ma poche avant de partir. J’ai les pieds serrés dans des galoches à semelles de bois qu’il faut souvent « reclouter ». Mais Je suis toujours content d’arriver enfin au bourg sur la place de l’église avec sa tour sur le côté et son proche particulier : le « caquetoire » du dimanche !

Je suis arrivé.

Les trois kilomètres du retour sont loin mes pensées.

Ce qui compte, c’est bien que je sois arrivé.

 

 

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Le village prend vie tôt le matin.

Dès notre arrivée, nous animons la place avec nos cris et nos rires. Le charron cercle déjà de grandes roues. Sur l’enclume du maréchal ferrant, un fer à cheval bien rouge commence à prendre forme. Le cheval attend. Le charretier s’est levé tôt. Les deux cafés sont ouverts. J’achète un rouleau de réglisse à la vieille demoiselle qui tient la seule petite boutique avec sa mère. Pas de pain ni de pâtisserie, il faudrait aller à deux kilomètres au hameau de La Hutte si on veut acheter le pain de deux ou le pain de quatre. De toute façon, j’ai bien mangé avant de partir.

Je quitte les grands qui courent vers l’école des gars.

Moi, comme je suis tout petit, je vais à l’école des filles.

Je suis arrivé et je suis content car, à midi, je vais manger chez la grand-mère.

 
Mon institutrice est Mademoiselle Angebault.

Son nom me plaît.

Elle a la voix douce.

J’aime la classe, l’odeur de la craie, de l’ardoise et de l’encre violette. L’hiver s’y mêle la senteur un peu âcre du poêle. Les cadres représentent des figures de l’Histoire dont celle du Maréchal. Je découvre que le monde est bien grand sur les cartes de couleurs vives accrochées au mur Tout m’intrigue. Je parviens à  lire car j’ai déjà un peu appris à la maison. Je commence à remplir, au crayon puis avec un porte-plume, mes premiers cahiers aux lignes bien marquées. Je m’applique à former les pleins et les déliés.

 

Chaque jour est une fête.

Et voilà que je sais vraiment lire et écrire.

Juillet est déjà là.

Je vais maintenant profiter de l’été à la ferme : les moissons, les battages, la pêche, les jeux dans les champs.

Je suis grand maintenant.

 

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Octobre 1941.

 

 

J’ai sept ans.

On me dit que j’ai l’âge de raison. C’est pour ça que je vais à l’école des gars.

Le territoire entre la ferme et l’école m’est devenu familier. Je connais le nom des fermes comme celui des fermiers. Avec les autres, je passe au Bas-Bray, puis sur le petit pont avant d’arriver au passage à niveau. Je traine mes pieds dans l’amoncellement des feuilles d’automne et on arrive à la Belandière. Là, les chiens se ruent vers nous en aboyant et nous accompagnent un court instant. Sans savoir pourquoi, je n’aime pas la portion de route entre le carrefour de la route de Fresnay et le lavoir. Les peupliers m’impressionnent et les maisons me sont étrangères. Je marche vite pour aller jusqu’au lavoir, passer sous le pont de chemin de fer, longer le cimetière et monter la côte jusqu’au bourg.


Maintenant, je fais davantage attention à l’église avec sa haute tour pointue séparée qui ressemble à une tour de guet. Je passe devant la boutique où, pour quelques sous et par habitude, j’achète des bonbons. Vers l’école des grands, je regarde la grande maison du charpentier. Enfin, intimidé, j’entre dans la cour de mon école qui me paraît immense avec, au fond, le préau et les cabinets. Sur la gauche, un seul bâtiment qui comporte la petite mairie, la maison de l’instituteur et l’unique classe. Derrière, j’entrevois ce qui me paraît un grand jardin.


Après la douceur de Mademoiselle Angebault, je découvre la gentillesse de Monsieur Vieillepeau.

À mes yeux, il ressemble à un bon grand-père. Et il écrit si bien sur le tableau ! Il s’occupe de chacun sans jamais élever la voix. Il n’est pas très grand. Il a les yeux vifs, Il quitte parfois la classe car quelqu’un le demande dans la petite pièce qui sert de mairie. Il est le secrétaire et il veille donc sur tout le village. J’aime bien quand il revient et distribue des images d’Epinal qui me font découvrir des coins de France et des pages d’Histoire.

Au fil des semaines, j’apprends tant de choses.  

 

 

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Un jour, toute la classe est rassemblée pour aller à la ferme de la Belandière.

Nous allons  ramasser les doryphores qui dévastent les champs de pommes de terre. Une belle sortie en plein-air ! Maît’Denieul et sa femme, nous reçoivent près du hangar.

Après la « récolte », j’ai les mains collantes et jaunies.

On se lave à la pompe avant d’aller dans la grande cuisine pour avoir un rafraîchissement. Ce qui est bien, c’est que l’après-midi se termine et que je suis déjà à mi-chemin de la maison.


Une autre fois, un photographe est venu nous prendre en photo.

Monsieur Vieillepeau s’est placé à droite des trente-neuf élèves.

Je suis au deuxième rang, les grands sont debout tout en haut sur des bancs.

Juillet 1942 arrive.

Je sais que je ne vais plus reprendre le chemin de l’école.

Les parents ont décidé de regrouper les trois frères et je vais devenir pensionnaire à l’école Saint-Joseph de Fresnay. À presque huit ans, j’ai un peu peur car je vais quitter la campagne pour la ville.et, en plus, j’entends parler de guerre, d’occupation, de résistance...

 

Je change de monde.

 

 

 

 

Réminiscences
 
 
​Un matin au réveil.
Les claquements secs du moteur de l’aplatisseur parviennent jusqu’à la chambre. La ferme est déjà réveillée, c’est un monde qui s’anime dans le territoire limité mais rassurant de l’enfance. La grande cour est balayée les dimanches matins, lorsque le temps sec s’est installé, mais c’est le raclement régulier des rabots dans les périodes pluvieuses qui résonne et se grave dans la mémoire. Un passage boueux coupe la cour en deux à partir de l’étable jusqu’à la barrière. Le troupeau l’emprunte chaque jour pour aller dans le champ du château ou dans celui des Rigaudières. Les Rigaudières, c’est si loin! C’est le bout du monde où l’on ne va jamais jouer.
Le Champ du château, au contraire, voilà un lieu connu !
Il mène vers la mare où l’on va pêcher les poissons rouges et les gardons. La surface de l’eau, le reflet des chênes, le silence, le bouchon qui s’enfonce soudain, le plaisir de ferrer et de palper le poisson qui frétille : bonheur simple du plein air. Puis on change de ligne pour prendre une gaule rudimentaire avec une ficelle, puis un gros hameçon masqué grossièrement par un chiffon rouge et c’est la fête à la grenouille !
Souvent on descend le Champ de la Mare jusqu’au ruisseau Rosay-Nord et nous attrapons les écrevisses sous les pierres ou pêchons les goujons et les ablettes. De retour à la maison, on éprouve une fois de plus cette froide sensation au contact des écailles et des viscères.
On ne pense pas à la mort mais à la nature et à la vie.
 
 
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​Les jeux au milieu des animaux n’obéissent à aucune règle et laissent libre cours à l’imagination. On entre dans le monde tiède des étables avec les odeurs âcres du foin et des litières. La langue rugueuse des petits veaux suçant nos doigts avec avidité laisse une sensation étrange. Les quatre chevaux de trait - énormes percherons - nous font peur et c’est tout juste si nous penchons la tête à la porte de l’écurie pour les entendre mâcher inlassablement le foin qu’ils retirent du râtelier en agitant leur crinière.
Quel étonnement aussi de découvrir, une ou deux fois dans l’année, le passage de l’étalonnier qui tient fermement et fièrement son étalon gris pommelé dans la cour devant l’écurie. Les saillies commencent : la jument entravée, l’écume qui sort des naseaux, les tentatives de ruades, la saillie...
L’enfant cherche à percer le mystère, s’aperçoit peu à peu qu’il s’inscrit dans l’ordre de la nature. Même l’assaut du taureau, bien tenu à distance lorsqu’il s’approche du chassoir (1), ne l’étonne bientôt plus.
 
Toute la volaille glousse et picore du matin au soir et les deux ou trois coqs semblent régner sur l’ensemble en se battant parfois avec les petits coqs de barbarie toujours agressifs. La grande cour est toujours animée autour du tas de fumier encore au centre, comme c’est la coutume. Les vifs battements d’ailes d’un vol de pigeons combinent les sons multiples et divers qui se mêlent pour composer une harmonieuse et paisible partition.
Lorsque tous sentent venir la pluie, une agitation rompt aussitôt cette sorte de douce polyphonie. Les poules, le cou tendu, fuient vers le poulailler, les pigeons s’engouffrent dans les pigeonniers juste avant que les premières gouttes d’une pluie orageuse viennent s’écraser sur le sol poussiéreux. Les enfants, abrités sous le hangar, écoutent maintenant le crépitement de la pluie sur les tôles et les ardoises. Ils sentent le parfum subtil que dégage l’averse sur un sol sec.
Le grand hangar rouge connaît ses heures de gloire au moment des moissons et des battages, les batteries comme on dit dans la Sarthe. Images de travail aux champs et de grands espaces. La moisson, ce sont les effluves chauds et empoussiérés des grandes vacances. Les blés mûrs et l’orge piquante accueillent le faucheur qui doit ouvrir le champ. Il porte sa grande faux sur l’épaule, un mouchoir à carreaux autour du cou. Sur sa chemise ample, il a enroulé sa ceinture de flanelle grise qui lui maintient le dos. Un large ceinturon porte l’étui avec la pierre à aiguiser. Il est prêt. Rythme en deux temps : on entend le bruissement de la fauche en demi-cercles parfaits puis la chute des épis qui s’ordonnent en javelles régulières.
En une heure ou deux, le tour du champ est dégagé.
Il n’y a eu que trois ou quatre pauses pour boire quelques bolées de cidre bien gardé au frais dans la cruche enveloppée de toile de jute, à l’ombre d’un gros chêne. Le faucheur boit et, d’un revers de main, essuie sa bouche, ses longues moustaches et sa barbe hirsute. Il regarde le travail fait et celui qui reste à faire. Un profond soupir, puis il crache dans ses mains noueuses qu’il frotte avec vigueur avant de reprendre la faux ... Demain, tous au travail !
Le patron entre dans le champ, assis sur la faucheuse ; il tient bien haut le grand râteau et dirige les deux chevaux qui s’ébrouent côte à côte et avancent avec fougue, la crinière au vent pour chasser les mouches, vers l’entrée du champ maintenant bien dégagé.
 
 
Le cérémonial et les gestes rituels se reproduisent chaque année : la coupe et le cliquetis des lames, le mouvement circulaire du râteau pour rabattre les blés fauchés, le froissement craquant de la paille et des épis qui s’étalent en éventail sur le tapis sec et dru d’un sol soudain privé de sa douceur ondulante et dorée. Le champ est animé par les bavardages et les plaisanteries des javeleurs qui ratissent les andains. Les enfants posent les liens et les botteleurs, faucille à la main, nouent les gerbes. Les femmes dressent les buttiaux (2) que le soleil et le vent de l’été viendront sécher.
Reste le dernier carré, tout le monde se rassemble, deux chiens sont lâchés pour sauter sur les lapins ou les lièvres qui se sont laissé prendre au piège de l’encerclement fatal. Seuls les perdreaux ont pu prendre leur envol. Les moissonneurs, rentrés du champ, se précipitent vers la pompe près du puits, se frottent et s’aspergent d’une eau bien fraîche avant de rejoindre la grande table. C’est fini, on va boire un coup et déguster la miottée (3) au cidre avant le festin final..
 
C’est bon d’être assis au sommet des grandes charretées lorsqu’on rentre la récolte à la ferme.
On se cramponne et on s’abrite des branches qui viennent frôler la tête. Le chemin est caillouteux, les grandes roues cerclées de fer provoquent des secousses qui déclenchent des fous-rires. Quand le hangar est plein, les brocteux (4) bâtissent à l’extérieur une barge rectangulaire et, à la fin, la patronne grimpe à l’échelle pour planter le bouquet, signe que la moisson est bien finie.
 
La veille des battages, c’est le grand nettoyage de la ferme et la maison elle-même subit une métamorphose. La salle à manger, d’habitude dans la pénombre, ne servant que pour de grandes occasions, s’expose aujourd’hui dans la lumière. Les volets sont ouverts et les fenêtres laissent entrer le grand jour. Les pas feutrés des jours ordinaires font place aux claquements secs des sabots sur le carrelage qu’on lessive.
Pour un temps très court, Le Haut-Breil va devenir pour deux jours le haut lieu du village. Il faut être la plus belle ferme, celle qui aura le mieux garni sa table et bien rempli tous les verres. C’est la fête de l’année. Chaque ferme du village envoie une bonne ou un ou deux gars pour participer au rituel et compléter la grande équipe nécessaire à deux jours de travail intense.
Joie de l’été aussi ! La chaleur dégagée par la batteuse Merlin et la chaudière noire avec ses cuivres rutilants, son grand tuyau cheminée et son sifflet strident, constituent pour l’enfant un théâtre vivant dont la mise en scène est à chaque saison parfaitement réglée. Oublié le difficile acheminement de la chaudière et de la machine par les petites routes empierrées et trop étroites. Oubliés les incidents de la courroie qui saute. Oublié le poids des sacs de grains qu’il faut monter par l’échelle trop raide. Oubliés enfin les tours de reins, les muscles fatigués et le nuage de poussière.
La fête se termine par un festin.
La ferme est vivante et le blé s’entasse...
 
L’automne et ses odeurs humides changent l’atmosphère : la pomme écrasée, le moût qui sort de la presse, le tas de marc, le cidre enfin, plus ou moins trouble mais si sucré ! Les nuées de moineaux et de sansonnets sont attirées aussi par les tas de pommes à ciel ouvert et à portée d’ailes dans le champ tout proche. Elles suivent le wagonnet jusqu’au broyeur et à la presse. Les paquets rectangulaires enveloppés de toile de jute sont empilés et pressés. Le jus s’écoule, les foudres se remplissent, le marc brunâtre dégage pour des semaines une odeur légèrement acide tout autour de la ferme.
Bientôt, la magie de l’alambic du bouilleur de cru va s’exercer : pendant une courte semaine, on fabrique le calvados ou, si vous préférez, la goutte. Les souvenirs visuels de cuivres, d’éprouvettes et d’appareils de mesure, de tonneaux bien alignés, mais aussi les parfums subtils où se mêlent l’odeur du chêne et la fragrance si particulière des alcools, restent tellement gravés dans la mémoire qu’ils resurgissent en même temps que les images fugitives des lieux et des événements.
 
Les seules interruptions de la vie à la ferme arrivent à la fin de l’été.
Le Comice de Beaumont et les Quatre jours du Mans, sur le Quinconce des Jacobins, sont l’occasion d’une effervescence inhabituelle mais appréciée par le patron, son vacher et les gars de la ferme requis pour l’occasion et contents de quitter, deux fois l’an, les strictes limites de la ferme du Haut-Breil et de la commune de Saint-Germain. Même les enfants accompagnent le bétail par la route nationale sur les onze kilomètres entre La Hutte et Beaumont.
Le train emporte les animaux jusqu’au Mans et il faut leur faire traverser la ville, à la grande joie des habitants peu habitués à voir passer de tels troupeaux. Tous les éleveurs se reconnaissent d’une année sur l’autre. On s’interpelle, on boit un coup et surtout, on réside à l’Hôtel-Restaurant de la Rose, non loin de la cathédrale et du Vieux-Mans.
Le territoire de l’enfance s’élargit, devient un univers où s’enrichissent aussi bien l’imaginaire que l’expérience d’une vie de découvertes. Des images s’impriment dans la mémoire : scènes de présentation de bêtes alignées, reluisantes et fièrement tenues. Auront-elles un prix ? Des plaques de concours s’ajouteront-elles sur le panneau de bois à l’entrée de la ferme ? L’enfant, au milieu du tumulte de la ville et des scènes exceptionnelles, enregistre des mots nouveaux qui décrivent les particularités et les qualités de chaque animal. Il côtoie des gens de toute sorte et s’aperçoit que le monde est bien grand.
Mais bientôt, dans la cour et dans les champs, le froid vient paralyser la vie.
La nature se replie sur elle-même et se fige.
Les haies sont taillées et perdent leurs jeux d’ombres et de lumières. Elles ne sont plus qu’un enchevêtrement de branches et de brindilles dénudées qui forment une dentelle sur fond de grisaille. Les ornières ont durci dans les chemins. Les charrettes, charrues, faucheuses, faneuses et semoirs sont rangés dans les hangars. Les bruits et les sons se fondent et s’assourdissent et l’on a maintenant une perception cotonneuse de la vie quotidienne qui se déroule au ralenti, dans l’attente d’une renaissance que chacun déjà anticipe...
 
Je suis un enfant de cette terre- là.
Envoi
Bourrelier et taupier,
Rémouleur et hongreur,
Maréchal-ferrant et charron,
Etalonnier, charretier et vacher,
Bouilleur de cru et tueur de cochons.
Tombereaux, charrettes et carrioles,
Barriques, muids, demi-muids et foudres,
Ecrémeuse et baratte,
Chaudrons et marmites,
Poêles et feux dans la cheminée
Labourages et semailles,
Fenaisons et moissons,
Battages et assemblées de village,
Jambons et chapelets de saucisses aux poutres,
Cidre, miottée (3) et pains de quatre livres.
Senteurs paysannes des champs humides,
Odeurs âcres de l’étable et de l’écurie,
Effluves enivrants des tas de pommes et de marc,
Exhalaisons étouffantes des meules de foin,
Parfums poussiéreux des blés fraîchement coupés.
Echos d’un autre monde.
 
 
 
 
 
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(1) Structure de bois en triangle dans laquelle la vache « en chasse » entrait pour y être entravée avant la saillie..
(2) Petites meules coniques de quelques gerbes dressées dans le champ fraîchement fauché pour qu’elles sèchent.
(3) Mélange de cidre bouché frappé et pétillant et de mie de pain, le tout saupoudré de sucre dans une assiette à soupe.
(4) Ceux qui manient le « broc », fourche à trois doigts utilisée au moment des foins et de la moisson. Sans doute du latin
populaire « brocca » qui a donné « brocheter », « broche », « embrocher, « brochette » 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traces  ...

 

 

 

... Il y a quand même en ce lieu un clocher original, un porche classé où les paroissiens « caquetaient » en sortant de la messe ; on appelait d’ailleurs ce porche un « caquetoire ». En plus, dans le choeur de l’église, le retable est aussi classé. Le chemin de croix en bois, tout autour de la nef, a été sculpté par un habitant du bourg, le Père Provost, Enfin, tout en haut du chœur à droite, le grand vitrail a été offert après la guerre par notre famille Yvard/Julienne, comme il est mentionné en bas à droite de ce vitrail. 

 

On peut aussi aller voir le lavoir, juste après le cimetière où j’ai vu les laveuses ( on ne disait pas « lavandières » ) en allant à l’école à pied depuis le Haut-Breil. On étalait aussi le chanvre à rouir dans ce même lavoir En effet jusqu’aux années 50, ce chanvre alimentait l’usine de Vivoin et beaucoup de fermes, comme la nôtre, avaient un four à chanvre. Tout près, on verra enfin une croix très ancienne, à droite en sortant du pont de chemin de fer lorsque l’on vient du bourg..

 

Malheureusement, St Germain fait partie de ces nombreux villages qui se meurent depuis qu’il n’y a plus de curé et que le presbytère a été vendu. J’ai connu le dernier curé qui habitait là avec sa bonne à la fin des années 40 ! Ensuite, le curé de St Germain et Coulombiers résidait au presbytère de Coulombiers. J’avais connu successivement le Père Guilloineau et le Père Houdayer, les deux derniers curés du secteur !!

 

Aujourd’hui Saint-Germain et Coulombiers sont rattachés à Fresnay-sur-Sarthe et St Germain n’a plus qu’un « maire-délégué » et un seul curé, celui de Fresnay, pour une dizaine de paroisses !

 

J’ai vu tout un passé disparaître, avec un peu de nostalgie tout de même. 

 

 

 

Pierre Yvard,

 

 

 

 

 

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(1) La commune de Saint- Germain- de- la- Coudre est devenue Saint-Germain-sur-Sarthe en 1953.)

Photographies Marc Yvard



13/12/2017
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